Perfectionner l’apprentissage : les défis de la neuropédagogie
Date de parution
28/01/2022
La neuropédagogie est une discipline relativement récente et un terme amené en France par le psychologue et enseignant-chercheur Olivier Houdé en 2010. S’inscrivant dans l’andragogie et la science de l’apprentissage, elle consiste à lier science et éducation pour optimiser les formations grâce aux recherches en neurosciences et en psychologie cognitive. Ses « objectifs scientifiques sont d’apprendre à stimuler de nouvelles zones du cerveau et à créer de nouvelles connexions », afin de permettre aux élèves de mieux apprendre en travaillant leur plasticité cérébrale. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de créer des formations adaptées pour parvenir à ces objectifs grâce aux connaissances acquises ces dernières décennies autour du fonctionnement du cerveau humain.
Les problématiques sous-jacentes
Nous ne sommes pas tous égaux face à l’apprentissage, et la recherche a permis de cibler les mécanismes qui rendent l’apprentissage plus facile à certains et moins à d’autres. Des difficultés cognitives comme la dyslexie, la dyscalculie ou le Trouble du Déficit de l’Attention et de l’Hyperactivité, rendent par exemple le processus d’apprentissage plus long ou plus complexe. Ces déficits, dont nous n’avons pris connaissance que récemment dans l’histoire de la biologie, ont créé une évidence : les méthodes d’apprentissage doivent s’adapter au fonctionnement de chacun.
À cela s’ajoutent les problématiques de l’intégration des nouveaux outils digitaux et de l’optimisation des temps de formation. Ces constats ont mené à la création d’un nouveau champ de recherche majeur : la neuropédagogie.
Notre cerveau se réinvente
La plasticité cérébrale est la capacité de notre système nerveux à se modifier et à se remodeler tout au long de notre vie en réponse aux expériences « affectives, psychiques et cognitives » qui modulent la vie d’un individu, son apprentissage et sa mémoire. Si pendant longtemps, nous avons considéré que la vieillesse affectait de manière durable, voire indélébile, notre plasticité cérébrale, c’est-à-dire nos capacités d’apprentissage, les travaux des dernières décennies démontrent que par de nombreux processus, ce déclin constitue un neuromythe et peut rester relatif.
Neuroplasticité active et passive
Les chercheurs en neurosciences font ainsi la différence entre la neuroplasticité active ou passive. Jusqu’à l’âge de 25 ans, le cerveau humain est configuré de sorte qu’une neurogenèse ait lieu par simple exposition à un environnement donné. Notre expérience du monde, qu’elle soit émotionnelle, motrice ou visuelle est ainsi imprimée dans le cerveau comme une carte. C’est ce que l’on appelle la neuroplasticité passive.
Passés 25 ans, le changement ne peut être imprimé dans le cerveau que de manière active. Cette découverte, qui n’a été faite que récemment dans les années 1990, révèle qu’en portant une attention active à un sujet d’apprentissage donné, nous pouvons entrainer une reconfiguration du système nerveux. Si notre attention se porte en même temps sur autre chose, cette reconfiguration ne peut avoir lieu. L’environnement, passé cet âge, ne saurait donc suffire à la création de nouveaux circuits neuronaux.
Les quatre piliers de l’apprentissage
Si la courbe de l’oubli, théorisée par Ebbinghaus, nous révélait déjà que chaque connaissance acquise nécessite une consolidation et une répétition dans le temps pour se fixer dans la mémoire, sous peine de connaître un déclin important, des recherches plus tardives, comme celles de Stanislas Dehaene, nous permettent d’aller plus loin.
Ce dernier a ainsi isolé quatre piliers de l’apprentissage, qui permettent d’optimiser l’apprentissage des adultes en prenant en compte la biochimie du cerveau humain : l’attention, l’engagement actif, le retour sur information immédiat, et la consolidation. Pour mieux comprendre ces piliers, vous pouvez écouter l’épisode 18 de podcast Never Stop Learning ou lire l’article dédié à l’intervention du Docteure Aurélie Van Dijk.
Les mindset
Outre les apports en neurosciences, la psychologie cognitive joue également un rôle majeur dans les évolutions récentes de la neuropédagogie. Carol Dweck, professeure de psychologie sociale à l’Université de Stanford, a effectué des travaux majeurs concernant l’apprentissage.
Carol Dweck a isolé la place capitale qu’occupent les « mindset », les états d’esprit des apprenants, et notamment l’importance de la confiance en soi dans l’apprentissage. Dweck a ainsi prouvé que les élèves considérant qu’il existait des « facilités » acquises depuis la naissance dans certaines compétences allaient témoigner davantage de difficultés liées à l’apprentissage que les autres. Cet état d’esprit dévalorise le rôle pourtant crucial que jouent l’effort et l’entrainement dans l’acquisition de connaissances.
Les formateurs doivent-ils se former à la neuroscience ?
Si les formateurs ne doivent pas nécessairement se former à l’imagerie cérébrale ou à la génétique pour réformer les modèles éducatifs et les rendre plus adaptatifs à la personnalité et aux difficultés de chaque apprenant, une certaine compréhension des mécanismes d’apprentissage reste nécessaire. Ainsi, connaître les quatre piliers d’apprentissage peut se révéler extrêmement utile par exemple.
Il ne s’agit pas de comprendre tout le fonctionnement du cerveau humain ; qui est si complexe et qui comporte huit systèmes d’apprentissage différents interagissant les uns avec les autres, mais plutôt de comprendre les principes fondamentaux des mécanismes d’apprentissage qui ont fait leurs preuves scientifiquement. Les quatre piliers de l’apprentissage, par exemple, en font partie.
Qu’en est-il des parents ?
Il existe différentes voies d’influence sur les résultats d’apprentissage des enfants. Deux principales sphères d’apprentissage sont à prendre en compte : l’école et l’environnement familial. Dans l’environnement familial par exemple, il faut intégrer l’idée selon laquelle avant la psychologie cognitive, un domaine a une influence majeure sur les capacités d’apprentissage : la biologie.
Nous savons que le cerveau a besoin d’énergie et de nutriments pour fonctionner de manière optimale. Ainsi, de nombreux éléments permettent d’activer plus facilement les circuits d’apprentissage :
- Bien manger, spécifiquement le matin,
- Pratiquer une activité physique régulière,
- Oxygéner le cerveau,
- Éviter les différents stress,
- Respecter ses temps de sommeil.Il ne faut bien sûr pas négliger l’apprentissage durant l’enfance, cependant, les autres moments de la vie ne sont pas pour autant à mettre de côté lorsqu’il s’agit d’apprendre. La neuroplasticité du cerveau permet d’apprendre tout au long de la vie, alors comme nous le dit notre adage chez Callimedia : Never Stop Learning !
Réaliser le potentiel de la neuropédagogie au cours des années à venir
Comment aider un enfant de 5 ou 6 ans à intégrer la notion selon laquelle la terre est ronde, tandis que son expérience sensorielle lui indique le contraire ? Le rôle d’un formateur consiste à accompagner l’apprenant à la suppression des informations inconsistantes de son apprentissage. Celle-ci doit se faire étape par étape : ce que nous apprenons doit avoir un lien direct avec les connaissances dont nous avons déjà fait l’acquisition.Ce savoir pointe vers l’importance de la personnalisation de chaque formation en fonction des compétences et des connaissances des individus concernés, ce qui constitue un défi aussi bien dans les parcours académiques et professionnels. D’où l’intérêt de nourrir les formations des nouveaux outils digitaux à disposition, et de prendre en compte la complémentarité du digital et du présentiel dans l’apprentissage : ce qu’on appelle le blended learning.
Limites et débats
Certains chercheurs argumentent que les neurosciences n’ont rien à apporter à l’éducation et que l’andragogie devrait davantage se concentrer sur les apports de la psychologie et des sciences comportementales. Le professeur en neurosciences cognitives Michael Thomas répond aux détracteurs que la neuropédagogie ne cherche pas à régler tous les problèmes rencontrés par l’andragogie. Selon lui, il reste important de comprendre physiologiquement ce qu’il se passe dans notre cerveau pour mieux appréhender les processus d’apprentissage.
« On sait depuis 400 ans que l’écorce de l’arbre Cinchona sert à traiter la Malaria, et on aurait pu se demander pourquoi chercher à aller plus loin. Mais 400 ans d’études nous ont permis d’isoler l’agent actif de l’arbre et, aujourd’hui, de traiter la Malaria de milliers de façons différentes ». Thomas considère que nous devons avoir la même approche concernant la neuropédagogie : sans chercher à tout expliquer, mieux comprendre nos mécanismes cérébraux peut permettre d’optimiser l’apprentissage.
Une révolution à venir ?
Aujourd’hui, de nombreux travaux restent nécessaires pour que la neuropédagogie révolutionne l’apprentissage. Beaucoup de variables restent inconnues dans les recherches : les interactions au sein du système limbique, les mécanismes précis des émotions dans l’apprentissage, ceux des sanctions et des récompenses…
Pour parvenir à cet objectif, la neuropédagogie doit tendre vers une maximisation du potentiel éducatif des outils numériques. Enfin, les recherches doivent se poursuivre, et avec elles, l’implication graduelle des formateurs au sein des équipes de recherches. Ce type de collaboration existe déjà dans certaines structures, c’est par exemple le cas d’Énergie Jeunes, l’association fondée par Philippe Korda, invité de l’épisode n°21 de notre podcast Never Stop Learning.