Nudge et sciences comportementales : un coup de pouce pour faciliter l’apprentissage

Date de parution

30/01/2023

Force est de constater que depuis quelques années, le milieu professionnel connaît des changements majeurs : changement de mentalité, digitalisation, évolution des métiers, émergences de nouvelles compétences… La formation devient alors un outil privilégié pour les entreprises.

La théorie des nudges

La théorie des nudges issue des sciences comportementales, propose d’inciter un individu à agir sans jamais le contraindre. Peut-on alors appliquer cette théorie en formation afin de faire évoluer notre approche dans le domaine de l’apprentissage ?

Étienne Bressoud, directeur général adjoint de la BVA Nudge Unit, est un spécialiste des sciences comportementales et plus particulièrement, un expert de la théorie des nudges qu’il a étudiés et testés pendant plusieurs années. Ayant été lui-même étudiant puis professeur, il a pu constater que les méthodes d’apprentissage n’avaient pas beaucoup changé au fil des années. C’est en partant de ce constat et de la volonté de mettre l’apprenant au cœur de la logique de formation, qu’il a écrit son ouvrage “Nudge et autres coups de pouce pour mieux apprendre”. Dans cet article, Étienne Bressoud nous explique comment le nudge peut nous aider à créer des conditions favorables à l’apprentissage et à rendre les formations plus engageantes.

Passez de l’intention à l’acte, le principe fondamental de la théorie des nudges

Le but de toute formation est de changer les comportements professionnels de ses apprenants (acquérir une nouvelle compétence, utiliser de nouveaux outils, appliquer des nouvelles méthodes de travail etc…). Cependant, comme le souligne Étienne Bressoud, même si l’on a l’intention d’agir et que l’on sait ce qu’il faut faire, ce n’est pas pour autant que l’on passe à l’acte. Il est alors important de comprendre et d’expliquer cet écart entre une intention et un acte.

Une nouvelle vision de l’apprentissage

Dans un monde qui change, il est important de changer notre vision de l’apprentissage.

Pendant des années nous avons reproduit le même schéma pédagogique que celui que l’on nous avait enseigné. Aujourd’hui, si nous voulons nous adapter au marché du travail en constante évolution, nous devons penser la formation dans le temps.

Étienne Bressoud parle de “logique de formation en continu”, les individus doivent se former tout au long de leur parcours professionnel.

Nous avions vu dans un podcast précédent « Les RH en 2030 », que les compétences acquises devenaient obsolètes au bout de 5 ans, en raison notamment de l’évolution des technologies. Il faut donc placer l’apprenant au cœur de la logique de formation afin de construire des parcours d’apprentissage qui répondent aux besoins présents et futurs des entreprises. Les sciences comportementales et les nudges sont des outils efficaces pour transformer nos méthodes d’apprentissage.

Passez de l’intention à l’action

Exprimer un besoin de formation n’est pas suffisant, il faut passer de l’intention à l’action, de la formation à l’application en situation de travail. Étienne Bressoud nous explique dans son ouvrage, que le but des nudges est d’encourager ce changement de comportement. En effet, bien que les individus comprennent l’avantage de changer et d’adopter les bons comportements, ils ne parviennent pas à le faire dans la majorité des cas.

Les sciences comportementales nous aident alors à comprendre l’écart entre une intention et une action et proposent des solutions et méthodes pour obtenir ce changement. Les nudges stimulent ce genre de comportement en créant par exemple des situations “gagnant-gagnant”. La formation doit être aussi enrichissante pour l’individu que pour l’entreprise. Les apprenants doivent y trouver leur compte si l’on veut les inciter à changer leur comportement, cela conduira à créer un avantage mutuel pour les employés et les entreprises.

Qu’est-ce que la théorie des nudges

Comme nous l’avons vu précédemment, la théorie du nudge est un concept issu des sciences comportementales. Cette théorie explique que grâce à des suggestions indirectes (sans contrainte), on peut influencer la motivation des individus et les conduire à la prise de décision, à agir. Étienne Bressoud définit les nudges comme le fait “d’organiser l’environnement décisionnel des individus (physiques ou autre) pour l’inviter à adopter un comportement souhaité, dans le but de le faire passer de l’intention à l’action.”

Dans son ouvrage, il prend l’exemple concret d’une salle de classe dans laquelle les apprenants ont leur téléphone à portée de main et son distrait par celui-ci. En appliquant la théorie des nudges à cette situation précise, on pourrait par exemple demander aux élèves de poser leurs portables dans une boîte avant le début du cours, quand ils sont encore à “l’état froid” c’est-à-dire à l’état décisionnel pendant lequel ils veulent bien faire.

Le choix par défaut : un exemple de nudge

Le “Default effect” ou “choix par défaut” est un exemple parfait de la théorie des nudges. Étienne Bressoud s’appuie sur le cas de la langue par défaut sur les sites de streaming. Si vous configurez l’anglais comme langue par défaut, vous aurez plus tendance à regarder votre film ou votre série en anglais. En effet, se voir proposer une langue par défaut influence nos décisions.

Ce phénomène s’explique par le biais du statu quo. Le choix par défaut est celui de ne rien faire et de continuer avec l’option déjà choisie pour nous. En proposant un choix par défaut, on ne supprime pas les autres options (toujours possible de choisir une autre langue), mais on change la façon dont cela est présenté au départ, ce qui va potentiellement et souvent changer le comportement.

Les sciences comportementales et le principe de Test, Learn and Adapt

Un principe majeur des sciences comportementales est le “Test, Learn and Adapt”. Il est la raison pour laquelle on appelle ce domaine d’étude “sciences”, car il introduit la notion de “mesure”. Tant que je n’ai pas testé mon hypothèse, je ne peux pas dire qu’elle marche. L’expérimentation apporte donc la preuve de l’efficacité des nudges que l’on va mettre en place.

Selon Étienne Bressoud, les sciences comportementales nous ont apporté deux éléments :

  • La logique de connaissance sur l’individu (mieux comprendre leur comportement pour être capable d’agir dessus)
  • La logique de test et d’expérimentation pour mesurer les actions mises en place (preuve scientifique)
  • Les biais de décision et théorie des nudges

    Nous savons maintenant que les nudges sont des suggestions indirectes qui peuvent influencer notre prise de décision, sans nous forcer. La théorie des nudges réfute donc l’idée selon laquelle nous serions des individus rationnels dont les choix sont raisonnés et logiques. Pour ce faire, les nudges s’appuient notamment sur ce que l’on appelle “biais cognitifs”, c’est-à-dire, des schémas de pensée trompeurs qui imitent la logique.Les nudges se servent donc de ces biais pour influencer les individus vers un comportement considéré comme bénéfique pour eux et les aider à prendre les bonnes décisions.

    Connaître les biais de décision : un acronyme pour les FACTEURS DE CHANGEMENT

    Partant du fait que les biais cognitifs viennent perturber notre rationalité, ils sont donc un facteur important dans nos prises de décisions.

    Étienne Bressoud nous dit “qu’il existe un nombre considérable de biais de décision qu’il est possible de prévoir et sur lesquels nous pouvons agir, en insufflant des changements comportementaux.”

    Il a alors développé l’acronyme FACTEURS DE CHANGEMENTS pour synthétiser l’ensemble des biais de décision. Chaque lettre correspond à un biais précis :

  • F pour Faciliter
  • A pour Ancrage
  • C pour Cadrage
  • T pour Temporalité
  • L’effet Dunning-Kruger ou la surestimation de ses connaissances

    L’effet Dunning-Kruger, du nom des psychologues américains David Dunning et Justin Kruger, est un biais cognitif selon lequel l’individu pense être compétent sur un sujet alors qu’il n’a aucune qualification. L’individu est caractérisé par l’incapacité de remettre en question son incompétence.

    D’après Dan Ariely, chercheur américain en sciences comportementales, “le rôle du nudge c’est de rendre visible l’invisible”. C’est en suivant cette logique que Etienne Bressoud propose des solutions pour contrer cet effet de surconfiance, par l’intermédiaire d’un quiz préalable, par exemple, pour témoigner du niveau réel de l’individu.

    L’idée est de “repositionner les gens et changer leur logique de perception, donc, changer la prise de décision qui va en découler”.

    Les deux systèmes de fonctionnement du cerveau

    Dans son livre “Thinking Fast and Slow”, Daniel Kahneman, psychologue et économiste américano-israélien, théorise la dichotomie entre deux modes de pensée, le système 1 et le système 2.

    En effet, notre cerveau marche par association :

    • Le système 1 est le système rapide, intuitif, émotionnel, qui ne demande pas d’effort
    • Le système 2 est le système de réflexion, plus lent et plus logique, qui demande de l’énergie pour fonctionner
    • La plupart du temps, notre cerveau fonctionne en système 1, par automatisme, pour ne pas consommer trop d’énergie.

      Seulement, lorsque nous sommes confrontés à une prise de décision, nous basculons d’une logique de système 1 à une logique de système 2.

      Le rôle des nudges est de créer un environnement propice à la formation et donc à une logique de système 2 qui nous permettra de mieux retenir l’apprentissage.

     

    Les nudges, un vrai coup de pouce pour l’apprentissage ?

    Les nudges qui se traduisent par “coup de pouce” incitent les individus à passer de l’intention à l’acte en créant des conditions favorables à l’apprentissage. Utilisez à bon escient ils sont un allié de taille dans notre volonté d’apprendre durablement et en continu.

    L’application des nudges en formation

    La théorie des nudges va s’utiliser pendant les trois grands moments de la formation :

  • Avant la formation : pour améliorer le taux d’inscription et diminuer les absentéistes
  • Pendant : pour engager les participants, les motiver, faciliter l’apprentissage et l’ancrage mémoriel
  • Après : pour changer les comportements, faire passer de l’intention à l’acteLes nudges et les sciences comportementales nous aident à comprendre les besoins et les comportements des apprenants. Ils nous donnent les clés pour mettre en place des techniques d’incitation à l’apprentissage et encourager les changements de comportement et faciliter la prise de décision.
  • La question de l’éthique et les nudges

    Après avoir étudié ce que sont les nudges, on peut être amené à se demander si le fait d’inciter un individu à passer à l’action n’est-il pas de la manipulation ?Pour répondre à cette question, Étienne Bressoud nous répond que “le nudge cherche à orienter les gens vers des comportements positifs, toujours dans l’objectif de passer de l’intention à l’action dans l’intérêt de l’individu. Cela gomme la composante négative qu’on trouve dans la notion de manipulation”. Le nudge par définition se veut dans une logique éthique.

    À contrario, le Dark Nudge est le fait d’utiliser les techniques des nudges pour agir dans son seul intérêt et contre la volonté des individus.

    Découvrez notre podcast Never Stop Learning

    L’écriture de cet article repose sur l’échange entre Étienne Bressoud, directeur général adjoint de la BVA Nudge Unit, spécialiste des nudges et de l’éducation, et Gérard Peccoux, président de Callimedia, durant l’épisode 41 de notre podcast Never Stop Learning.

    Écoutez en intégralité le PODCAST épisode 41 – Never Stop Learning : Nudge : coup de pouce pour mieux apprendre.

    Si vous souhaitez en savoir plus sur le digital learning, les nudges et la formation, découvrez les différents épisodes disponibles sur notre podcast. Pour aller plus loin sur la théorie des nudges et son application en formation, découvrez le livre d’Étienne Bressoud à ce sujet : « Nudge et autres coups de pouce pour mieux apprendre ».