Neurosciences et andragogie : réinventez vos formations

Date de parution

16/12/2021

Avec la digitalisation progressive de l’enseignement, liée à la fois à la récente pandémie et à la multiplication des outils numériques, l’andragogie, c’est-à-dire la science de l’éducation pour les adultes, fait aujourd’hui face à de nouveaux défis. Comment capter l’attention d’un public pour faciliter son apprentissage ? Aurélie Van Dijk, Docteure en psychologie cognitive, s’intéresse principalement aux neurosciences et s’est progressivement orientée vers l’andragogie en tant que formatrice consultante. Ce cheminement l’a conduite à rédiger un ouvrage sur ce sujet : « Réinventez vos formations avec les neurosciences ». Dans cet article, Aurélie Van Dijk nous procure des pistes concrètes afin de décrypter nos biais d’apprentissage.

Processus d’apprentissage du cerveau humain et neurosciences

Les neurosciences nous permettent d’accroître nos connaissances sur les processus d’apprentissage en décryptant le cerveau humain. Nous savons par exemple aujourd’hui que lorsqu’une personne apprend, elle crée de nouvelles connexions entre ses neurones. Ces connexions, nous les appelons des « synapses ». La répétition joue un rôle important dans la consolidation des synapses. L’apprentissage « s’appuie donc sur la plasticité et la capacité de notre cerveau à se remodeler », nous explique Aurélie Van Dijk.

La courbe de l’oubli

Si la courbe de l’oubli, théorisée par Ebbinghaus, a longtemps été considérée comme une simple hypothèse due au manque de rigueur des recherches initiales, de nombreuses recherches ont aujourd’hui prouvé sa pertinence. En d’autres termes, la courbe de l’oubli révèle que si les connaissances acquises ne sont pas consolidées et répétées dans le temps, elles subissent un déclin progressif dans la mémoire.

Aurélie Van Dijk confirme l’ampleur de cette courbe : au bout de neuf heures, nous oublions environ 70% de ce qui a été appris neuf heures plus tôt. Plusieurs facteurs jouent un rôle sur l’empreinte laissée par l’apprentissage dans notre mémoire, d’où l’intérêt de créer un lien entre andragogie et neurosciences.

Les quatre piliers de l’apprentissage

Isolés par le neuropsychologue Stanislas Dehaene, les quatre piliers de l’apprentissage permettent d’optimiser les formations andragogiques :

  • L’attention consiste à filtrer l’information à retenir et à traiter sans se disperser.
  • L’engagement actif représente le niveau d’intérêt personnel de l’apprenant vis-à-vis de l’apprentissage, le rendant ainsi acteur de son parcours apprenant.
  • Le retour sur information immédiat consiste à tirer profit de l’erreur dans l’apprentissage. Si l’objectif est d’apprendre une langue par exemple, un retour immédiat sur une erreur de prononciation permettra de corriger le chemin neuronal qui aurait mené à un apprentissage erroné. Stanislas Dehaene parle dans ce cadre de « célébration positive», en démontrant l’importance d’associer des émotions positives au retour sur information.
  • La consolidation réside dans la révision de l’information acquise dans le temps.
  • L’imitation, un processus complémentaire

    Outre les piliers fondamentaux de l’apprentissage, Albert Bandura théorisait, à la fin du XXème siècle, le rôle des relations sociales dans l’apprentissage. Le système cérébral humain est en effet configuré de sorte que nous puissions apprendre par « observation et imitation d’un modèle ». Que nous soyons acteurs ou observateurs d’une action, nos neurones miroirs fonctionnent de la même manière, nous permettant d’effectuer des actions mimétiques.

    Si l’apprenant observe son interlocuteur effectuer une action, les neurones miroirs seront ainsi activés et l’apprentissage sera renforcé, d’où l’intérêt d’avoir un modèle. En favorisant la participation active pendant la formation, nous multiplions l’impact de ce phénomène, car l’apprenant pourra ainsi apprendre de ses pairs et du formateur. Aurélie Van Dijk aborde dans ce cadre l’intérêt de la mise en place de l’AFEST, l’Action de Formation En Situation de Travail.

    Le rôle des émotions

    Enfin, un élément largement observé joue un rôle important sur la trace laissée par l’apprentissage dans notre mémoire : le facteur émotionnel. Ressentir une émotion au moment de l’apprentissage d’une information permet de la fixer en activant d’autres régions du cerveau, comme l’amygdale. En synergie avec l’hippocampe, structure clé dans le processus d’apprentissage, cette dernière libère de la noradrénaline, un neurotransmetteur qui renforce l’ancrage du souvenir.

    Ce rôle que possède l’émotion dans la mémoire est exploité dans le milieu de la publicité, mais nous pouvons également en tirer profit lorsqu’il s’agit d’andragogie.

    La multimodalité

    Nous comprenons ainsi que diverses modalités pédagogiques et différentes techniques trouvent leur importance dans l’apprentissage. Aurélie Van Dijk compare ainsi le contenu d’apprentissage à un trésor caché dans une pièce. « Plus il y a de portes qui amènent à cette pièce, plus l’accès à son contenu sera facilité », explique-t-elle. D’où l’importance de l’application de diverses modalités pour fixer les informations dans la mémoire : sensorielles (le visuel, l’auditif, le toucher…), cognitives (la réflexion) et actives.

    Formation : repenser l’andragogie

    Nous pouvons aisément voir en quoi la compréhension de la procession des informations par notre cerveau peut bien se mettre au service de l’optimisation des formations existantes, et par conséquent, l’intérêt que représentent les neurosciences pour l’andragogie. Mais au-delà de ces processus aussi anciens que notre espèce, de nouvelles problématiques liées à notre ère nécessitent aujourd’hui de repenser l’andragogie.

    Le défi du distanciel

    La récente pandémie de COVID-19 a exigé un basculement des modalités d’apprentissage, du présentiel vers le distanciel. Un nouveau défi a alors vu le jour pour les formateurs : mettre en application les deux premiers piliers de l’apprentissage, à savoir ceux de l’attention et de l’engagement actif, et ce malgré l’absence physique des apprenants et l’omniprésence chez ces derniers de stimulations extérieures (téléphones à portée de main, boites de messagerie ouvertes…).

    Techniques et outils digitaux

    Aurélie Van Dijk partage dans ce cadre des techniques de formation qui se sont révélées efficaces pour l’apprentissage en distanciel :

  • Connaître les prénoms des participants et les interpeler.
  • Leur demander d’allumer leurs caméras afin de renforcer la cohésion entre pairs.
  • Proposer des activités brise-glace pour renforcer le sentiment d’appartenance au groupe.
  • De la même manière qu’en présentiel, varier les rythmes pour maintenir l’attention, en créant des binômes et des sous-groupes.
  • Utiliser les outils digitaux à disposition, par exemple : des sondages, des quizz, un mur collaboratif…
  • Blended learning

    Cependant, en mettant de côté les contraintes du distanciel imposées par la pandémie, les chercheurs en andragogie s’accordent sur un point : l’hybridation entre présentiel et apprentissage digital, que l’on appelle le Blended learning, est extrêmement bénéfique dans l’apprentissage.

    Le digital learning présente l’avantage de donner accès à la formation à tous ceux qui le souhaitent, indépendamment de leur situation géographique. Il présente aussi un accès facilité à la consolidation, en permettant aux apprenants de revenir sur les apprentissages une fois chez eux. L’apprentissage en présentiel quant à lui, au-delà des avantages évoqués précédemment, permet des temps informels très bénéfiques pour la cohésion, comme des discussions autour d’un café lors de la pause. Les deux sont ainsi complémentaires, et l’un ne saurait éclipser l’autre.

    Neurosciences et andragogie : les « neuromythes » décryptés

    Certains mythes concernant le fonctionnement de notre système cérébral ont la peau dure, et l’optimisation de l’apprentissage andragogique passe par la déconstruction de ces derniers.

    On apprend tout au long de la vie

    Dans l’épisode 17 du podcast Never Stop Learning, nous évoquions déjà l’idée selon laquelle l’être humain connaîtrait un déclin cognitif progressif à partir de 20 ans. Aurélie Van Dijk le rappelle, cette idée est un mythe. En effet, le cerveau crée des neurones tout au long de la vie. Dans l’hippocampe, la zone du cerveau liée à la mémoire, les cellules souches peuvent se différencier et devenir de nouveaux neurones, quel que soit l’âge du sujet. Il s’agit alors de « stimuler cette neurogenèse par l’activité physique et par l’apprentissage ».

    Le vélo à l’envers

    En effet, s’il y a des périodes de la vie où l’apprentissage se fait plus rapide, il reste possible tout au long de la vie, même si chez les sujets vieillissants, celui-ci sera potentiellement plus lent. Prenons pour exemple l’expérience de Destin Sandlin, un ingénieur qui tenta d’apprendre à faire du vélo à l’envers, en inversant la rotation du guidon. L’apprentissage de cette tâche lui a pris 8 mois, à hauteur de 15 minutes de vélo par jour, mais s’est finalement conclu par un succès. Lorsque son fils a reproduit l’expérience, il ne lui a fallu que quelques semaines.

    L’autoroute neuronale

    Enfin, si la plasticité cérébrale est plus active chez les enfants, l’âge procure souvent de l’expérience et des acquis qui permettent de favoriser l’apprentissage. Notre cerveau, contrairement aux idées reçues, n’est pas multitâche. Dans les faits, l’apprentissage de nouvelles compétences crée une automatisation qui permet de réaliser deux tâches en parallèle. Cependant, cela est uniquement possible si l’une d’entre elles s’effectue de manière automatisée. Par exemple, la majorité d’entre nous est capable de conduire et de parler en même temps.

    Dans ce cas précis, nous remarquons les avantages que présentent l’âge et l’expérience.

    Découvrez notre podcast Never Stop Learning

    L’écriture de cet article repose sur l’échange entre Aurélie Van Dijk, formatrice consultante et Docteure en psychologie cognitive, et Gérard Peccoux, président de Callimedia, durant l’épisode 18 de notre podcast Never Stop Learning.

    Ecoutez en intégralité le PODCAST épisode 18 – Never Stop Learning : Réinventez vos formations avec les neurosciences.

    Si vous souhaitez en savoir plus sur le digital learning, les neurosciences et l’andragogie, découvrez les différents épisodes disponibles sur notre podcast. Pour aller plus loin sur le lien entre andragogie et neurosciences, découvrez le livre d’Aurélie Van Dijk à ce sujet : « Réinventez vos formations avec les neurosciences».